Histoire d’écrire #41 Décrire ? Pourquoi

La description… Le cauchemar de vos lecteurs d’école. Bouh, le Bonheur des Dames ! Ouh, le père Goriot !

Mais au fait, pourquoi décrire. Et au final, est-ce si important ?

Et bien oui, et pour de nombreuses raisons.

Nous pouvons décomposer le contenu d’un livre en dialogues, actions, et description (même si, en quelques sortes, les actions sont une description). La description sert à la fois de liant et d’épaississant : elle relit les éléments entre eux, elle amplifie l’univers.

L’importance du narrateur.

L’importance de la description va changer en fonction du narrateur. En effet, nous avons vu, dans notre focus sur le type de narrateur, que celui à la première personne va, justement, personnaliser les descriptions, qui ne seront que sa perception de l’univers environnement (alors que pour les narrateurs à la troisième personne, la description de l’univers est plus distante du personnage).

Et donc, dans ce cas, la description mise en avant sera celle qui intéresse le narrateur. Et, sauf s’il s’agit de souvenirs ou de connaissance, de son environnement directement (comme le narrateur n’a pas le don d’ubiquité).

Le cas particulier du roman policier :

La description est une partie même de l’énigme. Et le lecteur cherchera des indices dans ce que propose l’écrivain en description. Une scène de crime décrite, chaque objet sont autant d’indices, où de leur. Dans ce cas, la description est partie intégrante de l’histoire.

Ces deux cas particuliers, de genre et de narrateur, mis à part, voyons les traits générales qui recoupent toutes les descriptions :

Pourquoi décrire ?

Pourquoi ???

Il n’y a pas de mauvaise raison de décrire (mais il y a de bonnes et de moins bonnes manières), mais il y a forcément une raison. Voyons cela :

Décrire pour ancrer son histoire.

Ancre (Anchor) : définition, traduction
Ceci est une ancre (si si, Magritte, rentre chez toi)

La première description, la plus « gratuite », mettons, est tout simplement de donner du corps à l’histoire. Décrire un lieu permet au lecteur de s’y représenter. Décrire un personnage permet de s’y attacher. Imaginez une bande dessinée avec des personnages, sur un fond blanc. Difficile, pour eux, de s’incarner. Le personnage interagit avec son décors.

L’on reproche à Zola de faire plétors de description. Certes, celles ci ne font pas avancer l’histoire, et ne permettent pas toujours de s’attacher aux personnages. Mais le projet de Zola, avec ses Rougon-Macquarts et ses milliers de pages, et de décrire le mode de vie des français sous le second empire. Adepte du réalisme, convaincu de l’influence de l’environnement sur l’individu, la description n’est pas inutile : elle sert son projet, même si elle ne fait pas avancer l’histoire.

Vous lisez un livre de Fantasy, ou de science fiction. L’environnement, inconnu pour vous, est alors un personnage à part entière. Dans ce cas, sa description, même « gratuite », n’est pas inutile : elle vous enrichit sur l’univers que vous explorez, à côté des personnages. Elle étouffe l’univers. Elle ancre l’histoire.

Décrire pour semer des indices.

Voici une raison de décrire que j’affectionne tout particulièrement : laisser des indices (que j’appelle des « ancres »), des mystères en suspens, anodin au premier abord, mais qui prendront toutes leur importance par la suite. Prenons, mais au hasard, hein, le livre Interfeel.

Que voilà.

Livia possède un regard effacé. Simple description de personnages, ou indice sur le lourd secret qu’elle cache ?

Nathan croise un mendiant : simple description de l’environnement d’Interfeel, où élément révélateur, quelques chapitres plus tard, du fait que quelque chose ne va pas avec Interfeel (mini spoil, sorry).

Attention, il ne faut pas abuser de ces « ancres » (j’ai tendance à le faire). Par exemple, Elizabeth est rousse car… et bien, car je voulais qu’elle soit rousse !

Décrire pour rappeler qui est qui, et où on de trouve.

Nous avons une capacité assez importante à mémoriser les visages. Dans les films, il est généralement facile de se rappeler si nous avons déjà vu tel ou tel personnage avant, même si nous ne nous rappelons plus de son prénom.

Dans un livre, manque de bol, le nom est justement le meilleur moyen de qualifier un personnage. Mais justement, des descriptions peuvent servir de piqure de rappel, pour situer à nouveau les personnages au lecteur. Samantha (« Samantha ? Qui est-ce ? »), avec ses yeux toujours rieurs (« Ah oui, la fille aux yeux rieurs »). La description, dans ce cas, intervient comme un outil de rappel, pour ne pas perdre le lecteur. De même, faire une brève description de l’environnement lorsqu’un nouveau chapitre parle d’un ancien personnage, permet de nous rappeler les enjeux en cours. Et oui, il faut penser au lecteur, lorsque l’on écrit.

Comment décrire ?

Nous savons désormais quand décrire. Mais justement, le fait de chercher quand ne pas décrire permet d’éviter le premier écueil : décrire lorsqu’il ne faut pas.

Je sais que je touche une corde sensible, car le choix de la durée de description est avant tout une affaire de style (et l’écriture n’est pas une science, mais un art : il n’y a donc pas de vérité absolue). Néanmoins, ce que je conseille, c’est d’éviter les descriptions qui n’apportent rien.

Vous découvrez un nouveau personnage. Appelons le Jérome. Il n’a pas une incidence fondamental sur l’histoire. Si l’auteur passe quatre pages à le décrire (à part dans le cadre d’un effet de style – ou d’un effet de style conscient), ce n’est pas forcément nécessaire. Généralement, la durée de la description est dépendante de l’importance du personnage (pour parler du personnage, mais les lieux peuvent être traités pareil).

Comme j’aime bien les comparaisons, imaginez un tableau. La peinture d’une foule, avec quelques personnages bien visibles au premier plan, et quelques centaines de personnes derrières.

Si l’ensemble des personnages sont peints avec le même degré de précisions, le tableau devient difficile à lire. Généralement, les personnages centraux, ou principaux, seront plus mis en avant, et les personnages derrières des silouhettes. Cela offre un sens de lecture au tableau.

Donc n’oubliez pas : le choix de décrire ou pas, dépend du sens que vous voulez donner à votre histoire. A tout décrire de manière égalitaire, vous ne prenez pas partir, en tant qu’auteur. Focalisez vos descriptions sur certains aspects, et vous prenez la parole, vous offrez une subjectivité à votre texte. C’est ce que cherche le lecteur.

Eugène Delacroix - Le 28 Juillet. La Liberté guidant le peuple.jpg
Que voilà. Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple.
Par Eugène Delacroix — Erich Lessing Culture and Fine Arts Archives via artsy.net, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=27539198

Ce problème de description à outrance se retrouve généralement dans les univers créés de toute pièce. (Tiens, Interfeel ? Te revoilà ?). Le piège de base, surtout si l’on a bossé un sacré de temps pour faire un univers cohérent, est de vouloir tout décrire. De peur d’avoir creuser son univers pour rien. Pouvoir dire « regarde, j’ai aussi pensé à cela ». Sauf qu’une fois de plus, il faut penser au lecteur : trop d’informations parasites la lecture. Encore une fois, il faut une cohérence, et un choix rédactionnel.

Justement, parlant de problème propre aux univers imaginaires…

Un autre problème subsiste dans la description d’un univers inventé de toute pièce : ce qui est évident pour les personnages (qui évoluent dans cet unviers depuis toujours) ne l’est pas pour le lecteur. Et donc, ce qui est extraordinaire pour vous, lecteurs, est un lundi normal pour le personnage (si tant est que la notion de « lundi » existe dans cet univers). Il ne va donc pas s’embarasser à le décrire. Mais alors, comment faire ?

World of Wonder Dreams: Magical World
« C’est vraiment un univers fantastique ! »
« Bof, on s’y fait ».
Source : http://worldofwonderdreams.blogspot.com/2013/08/magical-world.html

Généralement, c’est là qu’intervient la notion de naïf. Le naïf, c’est celui qui justement débarque dans cet univers et qui donc devient un point de référence pour le lecteur. Ce personnage est comme lui, ignorant. Alors, il devient cohérent pour ce personnage de décrire ce qu’il voit, description qui sert aussi le lecteur.

Les exemples sont légions, notamment dans la littérature SF (Plus rare en Héroic Fantaisy), mais je vais en citer quelques uns : Harry Potter qui découvre le monde des sorciers. Katniss qui découvre le capitole. Bella qui découvre l’univers des vampires. Etcetera, etcetera. C’est encore plus flagrant dans les films (Néo pour Matrix, Luke Skywalker pour l’univers Jedi).

Mais il existe un cas de figure où il est impossible de trouver un naïf. Où le personnage est depuis toujours dans cet univers, pourtant inaccessible au lecteur. Dans ce cas, il faut user de stratégème.

Très, très généralement, ces livres se déroulent à la troisième personne (Le Seigneur des Anneaux, les Chroniques de Krondor… Interfeel). Pourquoi ? Tout simplement car il est beaucoup plus facile ainsi de décrire un univers sans passer par son personnage principal (je renvoie au début de l’article : la description à la première personne a ceci de particulier qu’elle passe forcément par le prisme – et l’esprit – de son personnage principal). Ainsi, il n’est pas choquant de décrire l’univers – pourtant habituel aux personnages – tandis que ceux-ci vivent leur péripétie.

A titre anecdotique, certains lecteurs ont reprochés le caractère un peu naïf de mon personnage Nathan, au début de l’histoire d’Interfeel. Je l’admets, mais c’était volontaire. Déjà, le but de ces aventures était de lui faire perdre sa naïveté (donc il devait commencer ainsi). Mais ainsi, c’était un moyen pour moi de lui faire poser des questions sur ce qui l’entours, sur le Gouvernement Mondial, sur les Forces Spéciales, etc.

Tout décrire ?

Non, ce n’est pas obligé. N’oubliez pas que votre lectorat est doué d’intelligence. Et parfois, sous entendre des choses, ne les décrire qu’à moitié, ne fait qu’ajouter à leur réalisme. Quand, dans Interfeel, je parle des véhicules Uniroues, je n’ai pas besoin de m’étendre. Rien qu’au nom, le lecteur devine déjà de quoi il s’agit. Les décrire davantage seraient redondants. Et le choix de ce que vous décrivez, et comment vous le décrivez, et bien… c’est une des caractéristiques de votre style !

Trojan, le cheval - Les dessins de kofkof
Analogie visuelle de choisir quoi décrire. Vous savez que c’est un cheval. Pourtant, ce dernier est au final très peu visible.
Source : https://kofkof.jimdo.com/trojan-le-cheval/

Quand décrire ?

Vous avez créé votre univers, soit. Vous voulez que vos lecteurs le connaissent, c’est bien normal. Mais méfiez vous de la description à rallonge qui va commencer votre livre (pratique bien courante). Pourquoi ? Tout simplement parce que le lecteur doit être intéressé. Votre univers a beau être fascinant (je n’en doute pas), commencer votre histoire en le décrivant sur vingt pages peut non seulement décourager vos lecteurs, les blinder d’informations, mais aussi (surtout ?) vous enlever un bel outil scénaristique : celui de la description continue.

En effet, n’est-il pas plus intéressant de décrire votre univers au fil de l’eau, c’est à dire au fil des pages ? Ces descriptions seront ainsi des respirations dans votre histoire, et contribueront à lui donner un rythme plus complexe (nous verrons cette notion de rythme plus tard).

C’est ce que j’ai essayé de faire avec Interfeel. Parler dès les premières pages d’Interfeel, d’Opale, de Forces Spéciales, d’Organisation Fantôme aurait été, pardonnez moi le terme technique, too much. Il me semblait plus intéressant de suivre une journée Nathan, commencer en parlant d’Interfeel, puis de l’Opale, puis des Forces Spéciales. Cela me semble offrire une meilleure consistance à l’histoire.

Y-a-t-il un autre moyen que la description pour… décrire ?

Et bien oui, figurez vous, malgré l’apparance saugrenue de la question. J’ai cité : les dialogues.

Platon disait que l’on apprenait bien plus en discutant, ou quelque chose comme ça. Je pense que c’était surtout une bonne excuse pour se faire des « banquets » (t’as la ref ?), mais il a raison (il était malin, ce Platon). Une discussion permet de décrire l’univers. Pour revenir à Interfeel (pardonnez moi, j’ai l’impression de ne parler que de lui, mais c’est quand même le livre que je connais le mieux), faire intervenir des profs, les amis de Nathan, ses parents, dans le premier chapitre, était aussi un moyen de décrire l’univers, sans faire des tartines de description. Cela apportais encore, une nouvelle fois, du rythme.

L’importance du rythme.

Le rythme dans la peau - Podcast Science
Le rythme dans la fourrure… dans la peau.

Le rythme est une notion fondamentale, même si je ne l’ai pas encore beaucoup abordé sur ces articles. Un bon rythme tiendra votre lecteur en haleine. Et le rythme, comme la ligne (double sens), ça s’entretien. Une action tendue de la première page à la conclusion de l’histoire fatigue.

Regardez, par exemple, les films d’action. Un film de deux heures n’a pas deux heures d’action. Généralement, c’est « une scène d’action » pour introduire les personnages, une mise en place de la situation, une scène d’action intermédiaire au milieu du film, une grosse remise en question des héros, et une grosse scène d’action finale.

Vous ne me croyez pas ? Je vous invite donc à voir ou à revoir :

  • Iron Man.
  • Avenger.
  • Avenger 2
  • Matrix.
  • Kingsman Service.
  • Tous les Fasts and Furious.
  • Star Wars 7.
  • Etc, etc, etc. (non, ce n’est pas le nom d’un film… mais ce serait marrant !)

Ce que je veux dire, c’est que le rythme s’entretien. Sans la lente montée qui commence les montagnes russes, on apprécie moins la chute.

Voilà – aussi – à quoi servent les descriptions. A menager ce rythme, en s’alternant avec de l’action, et du dialogue.

D’où l’importance d’éviter la surabondance de description à certains endroits, qui cassent le rythme.

Mais aussi, surtout même, l’importance d’accentuer la description dans les moments de tension, pour faire justement durer cette tension ! Au cinéma, Tarantino est très fort avec cela, proposant généralement une longue scène de dialogues, de regards, avant l’explosion (généralement chargée d’hémoglobine).

Les descriptions particulières.

Toute règle (et je répète que je n’en formule aucune) est fait pour être brisé. Je voudrais finir cet article par quelques utilisations de la description qui vont (parfois) à contre courant de ce que je viens de dire, et qui fonctionne du feu de Dieu.

Patrick Süskind, Le Parfum.

Perfume (novel) - Wikipedia

À l’époque dont nous parlons, il régnait dans les villes une puanteur à peine imaginable pour les modernes que nous sommes. Les rues puaient le fumier, les arrière-cours puaient l’urine, les cages d’escalier puaient le bois moisi et la crotte de rat, les cuisines le chou pourri et la graisse de mouton ; les pièces d’habitation mal aérées puaient la poussière renfermée, les chambres à coucher puaient les draps graisseux, les courtepointes moites et le remugle âcre des pots de chambre. Les cheminées crachaient une puanteur de soufre, les tanneries la puanteur de leurs bains corrosifs, et les abattoirs la puanteur du sang caillé. Les gens puaient la sueur et les vêtements non lavés ; leurs bouches puaient les dents gâtées, leurs estomacs puaient le jus d’oignons, et leurs corps, dès qu’ils n’étaient plus tout jeunes, puaient le vieux fromage et le lait aigre et les tumeurs éruptives. Les rivières puaient, les places puaient, les églises puaient, cela puait sous les ponts et dans les palais. Le paysan puait comme le prêtre, le compagnon tout comme l’épouse de son maître artisan, la noblesse puait du haut jusqu’en bas, et le roi lui-même puait, il puait comme un fauve, et la reine comme une vieille chèvre, été comme hiver. Car en ce XVIIIème siècle, l’activité délétère des bactéries ne rencontrait encore aucune limite, aussi n’y avait-il aucune activité humaine, qu’elle fût constructive ou destructive, aucune manifestation de la vie en germe ou bien à son déclin, qui ne fût accompagnée de puanteur. Et c’est naturellement à Paris que la puanteur était la plus grande, car Paris était la plus grande ville de France. Et au sein de la capitale il était un endroit où la puanteur régnait de façon particulièrement infernale, entre la rue aux Fers et la rue de la Ferronnerie, c’était le cimetière des Innocents. (Parfum, p. 4-5)

Du petit lait. Descriptions à rallonges, usage de la répétition. Sunskid contredit tout ce qu’on peut conseiller, et ça marche, et c’est ce qui en fait une ouverture génriale. Pourquoi ? Car déjà elle annonce la suite : le livre parlera des odeurs. Elle présente l’univers. Je ne me lasse pas de relire ce passage.

Certains auteurs, membres de l’Oulipo par exemple, vont utiliser la description comme d’un jeu rédactionnel. Je pense, bien sûr, à George Perec, et sa « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien », que je n’ai pas lu, mais dont le but est justement, de décrire jusqu’à l’outrance un endroit familier. Je pense aussi à son génial « La vie, mode d’emploi », où le but est (entre autres) de décrire tout, absolument tout, d’un immeuble sur 100 ans. Le personnage principal est l’immeuble, et les descriptions deviennent ses propres péripéties.

La Vie mode d'emploi - Georges Perec - SensCritique
Une de mes meilleurs lectures. Sacré George ! Mais bon, challenge un peu facile. Si seulement tu avais écris un livre sans une fois la lettre « e »…

A vous maintenant : quelles descriptions, de quelles livres, vous ont marquées ? L’espace commentaire est fait pour cela !

A propos Antonin Atger

Ecrivain, mon livre Interfeel est disponible aux Editions Pocket Jeunesse : https://www.lisez.com/livre-grand-format/interfeel/9782266248280
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