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La feuille est encore vierge. De mes doigts tremblant
Je caresse l’abîme de ce papier blanc
L’effleurant – encor moins – m’éloignant d’un sursaut
Je frémis d’impatience et l’effleure à nouveau
Mais à peine – sans vraiment la toucher – un frisson
Qui me court dans les doigts et je perds la raison
Un instant – je m’écarte, respire, et me contrôle
Pas longtemps et bientôt mes doigts à nouveau frôlent
Cette écorce légère électrisant mes sens
Support imaginaire de mon incandescence
Où se forment suivant le parcours de mes mains
L’ébauche d’un visage ou l’esquisse d’un sein
Je m’appuie un peu trop et soudain tout s’efface
Je reste toujours à l’orée de la surface
J’ouvre soudain les yeux et je tremble devant
L’abîme silencieux – toujours ce papier blanc
Pour ne pas perdre pied je m’agrippe au stylo
Qui à peine ouvert, déjà s’écoule par flots
En prose prosaïque épinglée par des rimes
Qui reviennent parfois pour fixer telle une ancre
Le désir qui me brûle et qu’il faut que j’arrime
Qui part facilement dans les courbures de l’encre
Et ces pauvres rimes, bardées de pieds trop gauches
S’embrassant, timides, retrouvent son ébauche
Elle n’était que des vers et soudain elle devient
Un nez fin, des yeux verts que dévorent les miens
Des cheveux buissonniers ruissellent jusqu’aux reins
Qui recouvrent son front de longs embruns sauvages
Et de copaux d’écumes inondant son visage
Inondé par des boucles de mots incertains
Puis je suis de ma main la ligne de son corps
Mais la ligne s’arrête, butant sur le rebord
Tranchant de la feuille, alors mon stylo tente
De retrouver le fil à la ligne suivante.
Mais alors que déborde mon excitation
S’écrasant sur la feuille en points d’exclamation
Ma perception se noie dans les rondeurs des lettres
Inondé par les mots, soudain disparaît l’être
Et son physique alors se retrouve accouplée
Avec ses remords, ses envies et ses colères
L’ivresse de son corps est ainsi accolée,
Accroché mot à mot avec son caractère
Et je décris son corps, et je décris ses craintes
Je dessine ses seins ; des signes de ses mains
Me racontent ses peurs et son passé l’éreinte
Je suis là et je pleurs en racontant le mien
Et je l’effleure à bout de mots
Et j’effeuille sa fleur de peau
Ses faiblesses et ses blessures
Ses caresses et ses cassures
Alors elle me regarde, alors elle s’écrit
En mots tordant la feuille d’un repli de mes doigts
Qui se crispent soudain devant ce que je vois
Puis relâchent la main que je croyais saisie
Et j’écris ses yeux verts qui s’embrument et se noient
Et je vois s’écouler les filets de sa voix
Sur la feuille, larmes d’encre salée s’effilant,
S’écoulant en sillons le long du papier blanc.
amanalat@hotmail.fr
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L’éclat de la feuille de Antonin ATGER est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 non transposé.
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Petit historique du poème :
Ce poème m’a traîné en tête quelques années avant d’arriver dans sa forme aboutit. Je ne sais pas pourquoi, j’avais l’image de cette fille aux yeux verts en tête, forcément imaginaire. Les premiers vers de ce poème qui me sont venu en tête étaient ainsi :
Elle n’était que des vers et soudain elle devient
Un nez fin, des yeux verts que dévorent les miens
Puis :
Et je l’effleure à bout de mots
Et j’effeuille sa fleur de peau
Ses faiblesses et ses blessures
Ses caresses et ses cassures
Pendant des années, je n’ai pas pu aller plus loin. J’imagine que je n’osais pas, alors, les inclure dans quelque chose d’autre, dans un poème plus dense, car j’avais peur qu’ils perdent en intensité. J’ignorais à l’époque que l’imperfection fait partie intégrante de la création artistique. Et que s’imaginer écrire quelque chose de parfait du premier coup est aussi illusoire que s’imaginer qu’agir comme un « écrivain » permet d’en être un (spécial dédicace à tous ceux qui s’imaginent que fumer d’un air torturé, avoir l’air chétif et pâle et faire des grandes dissertations sur Kafka permet de devenir un génie de la littérature).
Comme souvent à l’époque, il a fallut que l’impératif d’un concours organisé par mon université me mette la pression nécessaire pour finir ce poème. Ainsi, spontanément, s’est dessiné la structure du poème : ce sera un jeu entre la réalité et l’imaginaire, entre l’écriture et l’image. Sous le stress du jour final approchant, les vers sont venus presque instinctivement. Il s’agit de ces écrits dont je ne me souviens plus vraiment du processus qui m’a permit d’y aboutir (non, je n’étais pas ivre mort lorsque je l’ai écris ! Ne jamais confondre vers et verres !). Mais j’avais toujours un coin de mon cerveau branché sur ce poème et parfois, deux rimes me venaient en tête à des moments complètement impromptus : dans le métro, en cours, en sport. Il me fallait alors les préserver jusqu’à ce que je puisse les coucher sur du papier.
Cela reste l’un de mes écrits préférés.
A bientôt !
Amanalat.