Histoire d’écrire #20 Comment développer des personnages

Pour que le lecteur s’implique, ressente de l’empathie avec les héros, il faut qu’ils douillent ! C’est cruel, mais c’est comme ça ! Un héros qui traverse l’histoire sans une égratinure n’est pas un héros, ça devient un symbole, une incarnation, comme James Bond ou Superman.

Ce que beaucoup de gens ont, par exemple, apprécié avec les prestations de Daniel Craig, le dernier James Bond en date, c’était que pour une fois, il en prenait sévère.

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Et c’est d’ailleurs le reproche inverse qui a été fait au dernier film en date : Spectre, où rien ne semblait atteindre notre héros.

Dans beaucoup d’histoire, nos personnages vont suivre un parcours initiatique, c’est à dire vivre des évènements qui vont les transformer, les faire évoluer. Avant, et après l’histoire, ils ne seront plus les même.

Le cheminement le plus célèbre s’appelle le chemin du héros. Si vous avez vu Matrix, Harry Potter, ou Star Wars, vous le connaissez forcément, même si vous n’en avez pas encore conscience. C’est ce qu’on va voir aujourd’hui !

Le chemin du héros, qu’est ce que c’est ?

Un peu d’histoire !

(Je me base principalement sur cette page wikipédia pour synthétiser ce concept).

Tout est partit d’une théorie de Joseph Campbell, affirmant en 1949, dans son livre « le héros au mille visages », que la presque totalité des mythes connus s’appuyait sur le même processus narratif (on parle alors de monomythe). Autant le dire tout de suite, beaucoup d’expert en la matière réfute cette hypothèse. Il n’empêche que ce concept est très intéressant pour nous, auteurs, autrices.

Cette même théorie sera reprise dans les années 1990 justement comme un outil narratif essentiel, par Christopher Vogler dans son livre emblématique The Writer’s Journey: Mythic Structure For Writers, que, d’ailleurs, je dois lire. Ce parcours de héros peut se synthétiser en 12 étapes et, pour montrer son actualité, je vais prendre, pour chacune d’entres elles, à titre de comparaison, le film Matrix, monument de la science ficiton contemporaine, qui à mon sens suit parfaitement ce schéma.

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Bring it on.

Les étapes du voyage du héros

Avant de commencer, quelques précisions :

  1. Je vais spoiler Matrix ! Vous serez prévenu, mais je ne pense pas que cela vous enlève le plaisir de cette expérience cinématographique esthétique et visuelle.
  2. Tout héros à une quête, appelé ci dessous « Elixir ». Dans Matrix, la quête de Mr. Anderson (Keanu Reeves) est de devenir Néo, l’élu, celui qui mettra fin à la Matrix.
  3. Les phrases en gras sont directement tirées de la page Wikipédia sus nomméée.

Le héros dans son monde ordinaire : il s’agit d’une introduction qui fera mieux ressortir le caractère extraordinaire des aventures qui suivront.

On plante ici le décor original : le héros est tranquillement, dans son univers familier. C’est Luke Skywalker chez ses oncle et tante. C’est Frodon Sacquet, à la comté. C’est Harry Potter chez les Dursley (univers familier ne veut pas forcément dire positif :)).

Et pour Matrix, c’est Anderson, Keanu Reeves quoi, dans sa vie quotidienne de hacker et d’employé de bureau

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Le gendre idéal.

L’appel à l’aventure, qui se présente comme un problème ou un défi à relever.

C’est 63PO et R2D2 qui débarque sur la planète de Luke. C’est Hagrid qui arrive chez les Durlsey. C’est Gandalf qui réalise que Bilbon détient l’anneau. Et pour le futur Néo de Matrix, c’est le message mystérieux qu’il reçoit sur son ordinateur, qui l’invite à suivre le Lapin Blanc.

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Le héros est d’abord réticent, il a peur de l’inconnu.

Mr. Anderson refuse de suivre Morphéus, pour commencer. De même, alors qu’il doit sauter d’une corninche, la peur le retient, et il se fait arrêter par les agents Smith, pour un entretien des plus cordiales qui et n’implique PAS DU TOUT la pose d’un insecte dans son corps (pas de spoil, on vous dit :)).

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Le héros est encouragé par un mentor, vieil homme sage ou autre. Quelquefois le mentor donnera aussi une arme magique, mais il n’accompagnera pas le héros qui doit affronter seul les épreuves.

Alors là, il y en a à foison : pour Harry Potter, c’est Hagrid dans un premier temps, puis Gandalf. Pour Frodon, c’est Gandalf. Pour Luke Skywalker, c’est Obi Wan Kenobi. Et pour Néo…

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Hellooooo Morpheus !

Le héros passe le « seuil » de l’aventure, il entre dans un monde extraordinaire, il ne peut plus faire demi-tour.

Harry Potter découvre le monde des sorciers (il ne peut plus retourner dans le monde « normal », sachant que les sorciers existent). Luke Skywalker décolle de sa planète (il ne peut plus rester : sa famille est morte). Frodon part en quête. Et Néo choisit la pilule rouge, celle qui lui permet d’accéder au monde « réel ».

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Morhpeus dit littéralement qu’il n’y a pas de retour possible avec la pilule rouge.

Le héros subit des épreuves, rencontre des alliés et des ennemis.

Combats de sorciers, combats de sabres laser, combat contre les monstres de la Terre du milieu, et combat pour les agents Smith, pour l’ami Néo.

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ça chauffe, pour Mr. Anderson

Le héros atteint l’endroit le plus dangereux, souvent en profondeur, où l’objet de sa quête est caché.

Harry Potter affronte Voldemor (dans à peu près tous les Tomes). Luke Skywalker intègre l’étoile noire. Frodon atteint le Mordor. Et Néo affronte les agents Smiths, tout en sachant qu’ils sont plus fort que lui.

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« Je vais prendre grand plaisir à vous voir mourir, Mr. Anderson ».

Le héros subit l’épreuve suprême, il affronte la mort.

Dans le Tome 1 d’Harry Potter, Ron manque de mourir. Frodon douille sévère avant de détruire l’anneau (qu’il ne détruit pas lui même, d’ailleurs), et Néo meurt, littéralement :

Le héros s’empare de l’objet de sa quête : l’élixir.

Luke Skywalker détruit l’étoile noir à lui tout seul, en acceptant d’utiliser la Force (qui est un peu son Elixir, durant les trois films de la trilogie originale). Harry Poter trouve la Pierre philosophale. L’anneau est détruit. Et Néo, tout fringuant (et il n’a même pas attendu trois jours), démolie les Smiths et acquiert son statut d’élu :

Le chemin du retour, où parfois il s’agit encore d’échapper à la vengeance de ceux à qui l’objet a été volé.

Dans tous les exemples cités, le chemin du retour est assez tranquille : Frodon et compagnie, par la grace des aigles, arrivent en lieu sûr (il s’agit d’un Deus Ex Machina, d’ailleurs, on reparlera de ce concept plus tard). Luke Skywalker revient à la base rebelle, Harry Potter retourne dans les endroits « sûr » de Poudlard. Et Néo revient dans le vaisseau de Morphéus.

Ce passage est assez court dans le film, tellement court que je n’ai pas trouvé d’images ! Néo court jusqu’au téléphone, pour réintégrer le monde réel et sauver le vaisseau des bestioles métalliques.

Le retour dans le monde ordinaire et l’utilisation de l’objet de la quête pour améliorer le monde (donnant ainsi un sens à l’aventure).

Néo est l’élu, l’espoir renait dans la résistance. Luke Skywalker a terrassé l’empire, la sécurité reigne sur la Terre du Milieu.

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Et les héros s’embrassent.

Le héros revient du monde extraordinaire où il s’était aventuré, transformé par l’expérience.

Harry Potter revient chez les Dursley, son environnement familier d’origine, mais il sait désormais que la magie existe, et peut donc l’utiliser à son avantage (« car ils ne savent pas que l’on ne peut pas utiliser la magie dans le monde Moldu » – citation approximative !). Et Néo revient littéralement dans son monde d’origine, avec… un petit truc en plus :

Petit ajout personnel

A ce parcours du héros, je rajouterai une étape : le décès du mentor, ou son immobilisation temporaire. Gandalf meurt (un momen), Morphéus se fait kidnapper, Obi Wan se fait désinguer, et Dumbledor…

Cette disparition est fondamentale : après avoir été, littéralement, le « tuteur » du héros, ce dernier doit continuer le chemin seul.

Ce schéma fonctionne-t-il à tous les coups ?

Non, bien sûr. Il faut le voir comme une trame, un repère pour comprendre la structure d’une histoire, et du parcours d’un héros. Certains passages seront plus rapides, ou absent. C’est, avant tout, un outil qui vous aide à décortiquer les histoires que vous lisez, voyez, et à structurer la votre. Il n’est pas nécessaire d’y coller, en partie ou totalement.

Est ce que ce schéma n’est pas trop classique ?

Tout dépend du point de vue, et de l’oeuvre en question. N’oublions pas qu’il ne s’agit là que d’un outil narratif parmi tant d’autres. Et que même s’il est suivit à la lettre, cela n’empêche pas l’immersion dans un univers. Au contraire, cela peut même l’aider.

Revenons sur Matrix : la structure narrative simple de l’histoire permet, justement, de plonger dans la complexité de l’univers créé, et les questions philosophiques qui en découlent (qu’est ce que la réalité ? Quelle est la force de mon esprit sur mon corps), et la beauté esthétique qui, elles sont originales. Une trame narrative plus complexe aurait peut être rendu l’immersion moins facile. Tout est donc une question de dosage

Et puis, n’oublions pas qu’il n’est pas obligé de suivre ce schéma à la lettre. Vous l’avez vu, je n’ai pas pu trouver des exemples de chaque étape avec les œuvres que je citais. Il ne faut pas considérer cette liste comme obligatoire, mais comme une corde supplementaire à votre arc narratif.Enfin (surtout ?), Si ce schéma habituel est attendu par le lecteur, pourquoi ne pas, justement, jouer avec ces attentes ? Il est tout à fait possible de semer des fausses pistes, de faire croire qu’après avoir faillit mourir, le héros va s’en sortir, et .. non ! Attention, c’est un procédé casse gueule, car la déception du lecteur peut survenir. Mais si c’est bien fait, vous laisserez une empreinte mémorable dans son imaginaire. Et à titre d’exemple de ces voyages du héros avortés qui fonctionnent, je n’ai qu’à vous rappeler sur la série la plus visionnée au monde est Games of Throne :).

J’avais envie, pour conclure, de parler des conséquences de suivre ce schéma initiatique, dans les suites de films et les séries. Et généralement, ça ne fonctionne pas très bien :).

Le problème des suites

Le problème des suites de film (quand celles ci n’étaient pas prévues à la base), c’est que nous nous trouvons à la fin du premier dans une situation satisfaisante. Or, il faut à nouveau créer de la tension dans l’épisode 2. Mais comment faire évoluer un héros qui a, déjà évolué ?

La première erreur (à mon sens), et ce qui fait qu’une suite ne marche pas, c’est d’anhilier les conséquences du premier film pour « repartir à zéro » dans le 2. L’exemple qui me vient en tête est Kingsman, et la figure de Galahad, jouée par Colin Firth, mentor du jeune Eggsy. Parcour classique du héros, qui refuse la quête, l’accepte, et paf, Galahad meurt, donc Eggsy doit continuer par lui même. Très bien. Efficace.

Et dans le volume 2, qui fait-on ? Par la magie du abracadabra, on réssucite Galahad ! Et c’est une autre figure de mentor, Merlin, qui écope cette fois. L’effet est, selon moi, désastreux, car le volume 2 non seulement efface toute l’implication émotionnelle du volume 1, efface ses conséquences, et surtout donne un sentiment d’immortalité de ses personnages (à quoi bon trembler avec eux, s’ils ne peuvent pas mourir). Pour ma part, on passe alors du film, au divertissement.

L’autre problème est de refaire un parcours du héros, comme si le héros, justement, était à nouveau innocent, vierge, et que les mêmes problèmes revenaient, sans qu’il ait tiré les leçons du premier. Tentant pour le producteur / écrivain / réalisateur : on prend la même recette, et rebelotte. Dans la Trilogie Cars, de Pixar Disney, le héros, Flash Mc Queen, apprend la modestie dans le premier film. Mais ensuite, il reste à nouveau de petit prétention pistonné.

Matrix se casse la gueule dans son volume deux pour beaucoup de raisons, l’une d’entre elles étant que, finalement, que Néo devienne l’élu faisait partit d’un procéssus beaucoup plus grand et complexe (et auquel, d’ailleurs, on n’a rien comprit). De fait, tout le parcours du héros de volume 1, et l’impliquation émotionnelle que nous avons eut en le suivant, devient caduque.

Mais alors, comme faire une bonne suite ? Et bien, tout simplement, en changeant les enjeux, sans nier les conséquences du premier volume.

La duologie Batman Begin et The Dark Night s’en sort très bien. Dans Batman Begin, le héros, Bruce Wayne, suit donc un parcour classique : refus de l’aventure (devenir Batman), acceptation, blablabla, à la fin, c’est Batman.

Dans le Dark Night, il est toujours Batman. Rien de ce qui est arrivé dans le premier volume n’a disparut ! Il ne remettra en question son statut qu’à la fin du film 2. On introduit, par contre, un nouveau personnage, le Joker (magnifiquement interprété par Heith Ledger, comme chacun sait) qui est d’ailleurs pour moi le personnage principal du film. Et cette fois, Batman ne suit pas le parcours initiatique du héros, au contraire, il cherche à lutter contre un ennemi qui, justement, n’a aucun plan, aucune origine, aucun parcours. De mon point de vue, c’est brillant.


Le problème des séries.

Le problème est le même avec les séries, surtout les sitcoms, pour lesquels il n’est jamais certain qu’il y aura de nouveaux épisodes. Comment faire évoluer un personnage, si on ne connait pas sa fin ? Et comment faire évoluer un personnage, si les spectateurs l’aiment tel qu’il est ? Barney Stinson, de la série How I Met Your Mother est un bel exemple de ce paradoxe entre « évoluer pour ne pas lasser » et « rester tel quel, car les gens l’aiment comme ça ». De nombreuses astuces sont effectuées, notamment des FlashBacks, de la période d' »avant », où il était « marrant ». Compliqué.

Et dans la logique du parcours typique du héros, on peut penser à la série Dardevil où, après que Matt Murdoch a complément accepté son rôle de justicier à la fin de la saison un, des remises en questions, à mon sens artificiel, surviennent dans les saisons 2 et 3 (d’après ce que j’ai entendu, n’ayant pas vu la saison 3), où, à nouveau, on détricote ce qui était installé. Et je ne parle même pas des séries low cost type Arrow, où le héros change de motivations et de valeurs comme de chemise, pour faire croire à une tension narrative quelconque

Et comment faire une bonne série ? Déjà, en l’arrêtant à temps. Breaking Bad suit l’évolution de Walter Withe devenir un magnat du crime, puis. 5 saisons, emballé c’est pesé.

L’autre solution, c’est de ne pas suivre le parcours initiatique du héros ! Prenons la série culte Friends, par exemple. Durant les dix saisons, il ne se passe au final, pas grand chose, quand à l’évolution des personnages. Joey est toujours ce dragueur un peu niais, Ross est toujours amoureux de Rachel… Mais il se passe beaucoup d’évènements. Et c’est sur cela qu’on s’attache. Sans oublier les dialogues, croustillants. En gros, il n’est pas obligé de suivre le chemin du héros. D’autres ficelles narratives peuvent être actionner. Mais si on le fait, il faut avoir conscience des conséquences : il n’y a pas de retour en arrière

Antonin A.

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J’espère que ce conseil d’écriture vous a plu !

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